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    Je marche dans la rue au milieu de la foule, au milieu d’une myriade d’hommes et de femmes qui parlent, rient, vocifèrent tout seuls.

    À leurs oreilles, des écouteurs sans fil, des téléphones invisibles, des antennes de martiens qui les relient à je ne sais quelle planète. Où suis-je ? Sur Mars, Saturne, Jupiter ? Non dans une rue de Strasbourg sur la planète Terre où grouillent des êtres assoiffés de bruits et de grondements, ivres de vacuité, ivres d'un monde qui ne communique plus. Les êtres parlent à  leur smartphones, comme naguère  les hommes parlaient à leur chat ou à  leur chien.

    Dans la rue, personne ne parle plus avec son alter ego mais avec ces engins mobiles, ces jouets bariolés, compagnons de route pour l’éternité. C’est tellement plus simple que de regarder son voisin d’en face et de dire quelques mots, surtout quand celui-ci vous implore de lui faire l’aumône, que vous n’avez pas envie de le voir, que vous n’avez pas envie de lui donner un peu à boire, que sa détresse vous dérange et que vous voudriez masquer son désespoir.

    Ces hommes connectés, marionnettes en mouvement, pantins désarticulés, se meuvent donc dans la rue comme si tout allait bien, tracent leur chemin de fortune sans regarder autrui jusqu’à la fin de la journée, peut-être jusqu'’à perpétuité  ?

    J’ai donc décidé de leur tourner le dos, à ceux qui m’ignorent. J’ai décidé de  parler  plutôt aux oiseaux. Je suis alors rentrée à  l’ombre d'un porche pour me recueillir avec un moineau qui pépiait de plus belle un refrain d’avant-guerre, une antienne oubliée.

    Sous le porche, un couple de personnes âgées discutait avec une vieille dame volubile tenant un bouquet de roses dans ses mains. Était-ce un rêve ? Non, mais devant moi, une résurgence d'un passé où les gens se parlaient encore avec des gestes et des paroles vives, pleines d’expression.

    Reste peut-être une lueur d’espoir pour renouer entre nous le fil perdu des mots, ce collier tissé d'humanité...

     

     

    Les soliloques

     

     

     


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      Un matin, dans le froid glacial et sous la morne grisaille du mois de novembre, j'ai vu un père Noël drôlement attifé, grelottant de froid, le bonnet de travers, près de la bouche d'aération d'un immeuble crasseux, histoire de se réchauffer les yeux. Sûrement, avait-il bu, ce père Noël de fortune, un peu guilleret, un peu têtu. Les joues rouges et les yeux enflammés d'une lueur d'espoir vite éteinte, vite étouffée. Lueur d'espoir factice comme ces lumières dans la rue qui clignotent, faisant croire à une immense fête foraine, faisant croire à un feu de Bengale immortalisé, alors qu'il fait froid dehors, alors qu'il neige dans le coeur, dans le corps rabougri de ce lutin ermite, tout de rouge vêtu. Ce matin, devant ma fenêtre, j'ai vu un faux père Noël installé sous le ciel, sous la neige qui grondait...Décidément, les contes de fée n'existent plus. 

     

    "Croire au père Noël"


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    « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
    Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
    Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
    Vivre entre ses parents le reste de son âge ! »

    Joachim du Bellay

     

                Aujourd’hui, premier novembre, mon moral est en berne. Le ciel est gris souris et les belles lumières d’automne de la veille se sont muées en une lueur blafarde qui inonde la pièce où j’écris, où je tente de trouver un semblant de contenance. Le premier novembre a souvent été synonyme pour moi de grisaille, de tristesse, de journée morne et maussade qui s’étire comme un automne sans fin, sans feu, sans flamme, un automne triste en somme.

    Certes, mon grand-père était né un 1er novembre et malgré la tristesse de ce jour, c’était à l’époque, une petite consolation de pouvoir lui souhaiter un joyeux anniversaire, lui, dont le caractère si taiseux, si secret se mariait si bien avec les brumes de novembre. Mais il y a bien vingt-cinq ans que je ne peux plus le lui souhaiter. Alors, même si je ne fête pas la Toussaint, ce jour, est pour moi résolument funèbre.

    En ce jour si terne, il me plairait d’apercevoir le rougeoiement des feuilles d’automne à travers la fenêtre à dessein entrouverte pour laisser passer quelques oiseaux de fortune, égarés par la brume (On ne sait jamais !). Mais aucun volatile ne vient tambouriner à ma fenêtre, aucun insecte même n’ose s’aventurer dans mon piteux sanctuaire.

    Oui, je suis triste en ce premier jour de novembre et je sais bien que de le clamer, n’est absolument pas politiquement correct à notre époque, où le moindre signe de tristesse, de mélancolie, de nostalgie vaine est jugé sacrilège, vulgaire, sans goût. Comme si ce sentiment de mélancolie et de déréliction- au fond si naturel- devait être anéanti pour gommer les aspérités de chacun, pour tuer en soi ce qui fait notre douce fragilité, notre condition de simple mortel.

    Non, aujourd’hui, le maître-mot de notre existence est le bonheur. Et me revient alors ce vers de Joachim Du Bellay ânonné, désappris puis réappris au collège : « Heureux, qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage… ». Ulysse, ce héros, ce conquérant suprême, qui, malgré l’adversité de son existence, se montre vaillant, brave, acharné, triomphant. Comme si  Ulysse devait être un modèle pour nous toutes et tous, comme si, en dehors de ce héros, il n’y avait point de salut.

    Ainsi, cinq siècles après avoir été écrit, ce vers poétique résonne en moi comme une injonction à laquelle chacun doit obéir. Et si jamais, nous ne parvenons pas à atteindre cet état de félicité exigé, mieux vaut disparaître du paysage social, mieux vaut se terrer dans son minable terrier, faire amende honorable ou mieux disparaître de cette chère planète où seules sont admises les âmes bien nées- entendez-par-là : « les gens enjoués » !

    Sur les réseaux sociaux, d’ailleurs, pullulent nombres d’images et de selfies d’internautes qui arborent des sourires forcés et se disent heureux, béats de contentement devant leur vie enviable de sportifs d’enthousiastes toujours souriants, de femmes et d’hommes beaux et musclés.

    Au risque de vous choquer, je les trouve niais, parfaitement ridicules, tous ces gens qui offrent en pâture l’apparence d’une existence résolument heureuse, vouée à la béatitude éternelle, à leur sourire figé que j’ai envie d’écharper.  Mais déjà, mon cri se perd dans le lointain puisque désormais de devoir sourire, être heureux, plein de félicité devient cette norme indélébile, gravée dans du marbre. En cas contraire, point de droit de cité !

    Alors, en ce premier novembre, où décidément, je sens monter en moi une mélancolie tenace, tout comme Ulysse, moi aussi, j’ai envie de larguer les amarres, de partir loin pour rejoindre Ithaque ma terre promise où les sourires ne seraient plus télécommandés, où la tristesse serait admise, tout comme les fulgurances des âmes pas si bien nées !

    « Heureux qui comme Ulysse, a fait un beau voyage… »…

     

    "Heureux qui, comme Ulysse..."

     


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    Nous sommes le dernier jour du mois d’octobre. Les corbeaux croassent dans le silence parfumé de l’automne. Les arbres rouges, roux, parfois mordorés, poudroient dans l’air gris argenté. Je foule mes pas dans ceux des corbeaux malhabiles et bleutés. J’éprouve la même hargne que ces volatiles noirs et lustrés. Je suis peut-être oiseau moi-même, un des leurs qui croassent devant l’adversité. Ā vrai dire, tout me paraît morne en ce jour morose et gris. Seuls les arbres éclairent le jour comme mon âme rapiécée de silence et de cris.

    La lumière du ciel d’été a déteint sur les frondaisons des arbres, des érables rouges du Japon, des prunus enflammés. Ces folles flamboyances éclairent l’âtre du jour, le théâtre d’un monde désarticulé. Je voudrais moi-même me fondre dans ses feuilles rousses, rouges ou jaunes, vite embrasées, me perdre éternellement dans ces chevelures cuivrées que seules viennent caresser la rumeur du soleil, la jointure du ciel et de l’horizon, de l’aube et de l’aurore, du crépuscule et de la nuit.

    Je voudrais étreindre ce monde enflammé, m’immoler comme ces feuilles d’automne avant que l’hiver glacé ne les éteigne, avant que la noirceur de décembre n’atteigne leurs folles frondaisons qui rient, chantent, saignent à l’unisson.

     

     

    Automne

     

     

     

     


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        J'avais traversé déjà quelques sentiers forestiers au cœur même des Vosges, sentiers qui sentaient bon l'aubier et la résine de sapin. Au-dessus de moi, le ciel bleu coulait comme un élixir de jouvence, comme la promesse de belles journées à venir. Le soleil bruissait comme le vent dans les chardons violets, odorants, dans les champignons auprès des arbres, ces majestueux qui semblaient se courber à mon passage. En fait, je m'en rendis compte plus tard lors de la promenade, c'était plutôt sous la menace des aigles et des corbeaux bleutés que leurs frondaisons se recroquevillaient Mais qu'importe ! Cette impression d'être en osmose avec la nature, cette sensation que les arbres m'écoutaient et me répondaient, rarement, je l'avais éprouvée avant cette escapade. Et dans ces moments privilégiés, j'aurais voulu être un écureuil, une belette ou bien un oiseau m'envolant vers la cime des arbres prenant le matin tôt, la teinte de l'aube ou de l'aurore, ou revêtant le soir venu un manteau bleu de nuit. 

     Ce n'est qu'une fois que le sol jonché d'aiguilles de pin et de sapin s'auréola d'une couche de cuivre, que je pris conscience que nous étions déjà le soir et qu'il me fallait retourner à l'auberge. Mais je ne savais plus par quel chemin, j'étais passée. Tout se brouillait dans ma tête. Je cherchai négligemment mon téléphone portable afin de retrouver mon itinéraire grâce au logiciel de géolocalisation installé au début de ma promenade. Mais les bras m'en tombèrent lorsque je découvris un duvet roux épais sur mes avant- bras. Mes mains tout à l'heure beiges, couleur de chair humaine, se recroquevillaient dorénavant comme de petites serres menues et brunes sur des noisettes piochées le long de mon chemin. La métamorphose était déjà à l'œuvre. Je sus alors que jamais plus je ne retournerais à l'auberge dans le monde de la civilisation.

     J'étais devenu écureuil. Écureuil, j'étais et le resterais sans doute jusqu'à la fin de mes jours. D'ailleurs dans le monde d'en bas, dans la société bruyante des humains, se souvient-on encore de moi ? 

     

     

     

    "L'appel de la forêt"

     

     

     


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