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      Noël est si triste pour ceux qui ne le fêtent pas. Je suis de celles-là. Ainsi, alors que j’étais encore enfant et que je passais mes vacances scolaires à Paris à la fin du mois de décembre et au début du mois de janvier de l’année suivante, je me souviens de promenades que nous faisions le jour de Noël avec mon grand-père dans un Paris désertique qui ne ressemblait pas à lui-même.

    Rarement sous la neige, mais souvent sous le froid ambiant, nous déambulions dans les rues vides de monde. Toutes les maisons étaient illuminées, décorées de sapins colorés, de guirlandes qui scintillaient à la vue des rares passants. Et nous, pauvres hères déboussolés, sobres et dénudés d’artifices et de brillance, nous avancions dans ce désert blanc tout juste ponctué par le vrombissement de quelques voitures égarées, par la plainte de quelques mendiants qui, eux non plus ne fêtaient pas Noël. Et plus que nous, ils souffraient de solitude et de froid dans une ville de lumière qui arborait avec arrogance ses plus beaux atours. Ce sentiment d’exclusion nous rapprochait et c’est à Noël que je comprenais davantage ces vagabonds qui, plus particulièrement ce jour du vingt-cinq décembre, semblaient empreints de recueillement et de souffrance comme des gisants de pierre sur l’asphalte.

    Puis, après avoir fait l’aumône à l’égard de nos compagnons d’infortune, et, sûrement pour oublier la tristesse de ce jour, mon grand-père et moi-même continuions d’errer dans la ville. Lorsque nous tendions l’oreille, nous pouvions entendre le crissement mat du givre sur le sol, le frissonnement des feuilles d’arbres dans le jour gris et la bise hivernale. Parfois, nous pouvions entendre le silence qui se faisait jour à travers les interstices des nuages. Et une tristesse infinie nous enveloppait alors comme une chape de plomb enneigée que nous ne parvenions pas à extraire de notre corps, comme un manteau trop lourd à porter.

     

     


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    L'église du village carillonne, comme carillonnent les clarines des vaches beiges, qui, toute la journée, pacifiques, après avoir brouté l'herbe verte, rentrent au bercail avant le couchant, en dodelinant de la tête.

    Les toits de tuiles des maisons éclatent au soleil, comme fleurs pétulantes et colorées, comme tournesols dans l'azur, comme éventails ouverts au vent.

    Bientôt, le ciel virera à l'orange, puis au rouge. Et dans l'attente, "entre chien et loup", les bêtes s'assoupissent, les pétales se crispent sur leur pistil avant de se clore. La nuit va éclore après l'orgie du crépuscule, une fois les guêpes parties, les abeilles tues, une fois cachés les chats errants sortis flâner dans les rues.

     Et l'on n'entendra plus alors que le chuintement de la chouette, le hululement du hibou dans la profondeur du ciel noir que raie à peine la ligne bleue des Vosges, cet horizon de brume heurtant mes désirs d'évasion infinis, hantant mes rêves les plus fous et mes appels rauques et répétés au loup garou qui hurlera si fort dans cette nuit d’ombre veloutée.

     

     

    Un été dans les Vosges


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        C’est la mode, l’injonction même ! Il faut faire des autoportraits avec son téléphone portable à tout-va, des « selfies », comme on dit, pour être à la mode et connectés. Ainsi, sur les réseaux sociaux, pullulent des portraits de jeunes hommes et surtout de jeunes femmes narcissiques qui se trouvent belles et souhaitent partager leur pitoyable autosatisfaction. Rien de plus triste, je trouve, que ce genre d’exercices qui démontre surtout un vide abyssal de la part de ces « poseuses » des temps modernes qui, en manque d’inspiration, se font tirer le portrait au lieu de s’intéresser à autrui ou à la marche du monde.

    En énonçant ces propos, je serais moralisatrice et rabat-joie ? Peut-être. Mais j’avoue que ce genre de pratique me hérisse le poil. Certains me diront que je suis jalouse du physique de ces apprentis mannequins et que si j’étais dotée d’un physique plus attrayant et plus glamour, je n’en ferais pas une telle histoire de ces selfies et de ces expositions de photos personnelles en tout genre sur les réseaux sociaux. Qui sait ? Mes contempteurs ont sûrement raison. Je suis sans doute jalouse, moche, grosse et aigrie. Il n’empêche que si j’avais le physique de Marylin Monroe, je ne crois pas que je m’abaisserais à ce genre de pitoyable pratique. Non, je garderais mon joli minois pour mes proches, mes amis, ceux qui comptent réellement pour moi, mais certainement pas pour des quidams inconnus avides de sensations fortes et de curiosité malsaine. Non, très peu pour moi, ce genre d’exhibitions sur la toile !

    Mais au-delà, de ce que j’aurais fait si j’avais un physique à la Monica Bellucci, se pose une question sociétale plus cruciale, celle de l’évolution « narcissisante » de notre monde. Car le selfie n’est autre que le reflet (c’est le cas de le dire !) d’un univers étriqué, autocentré, où toute parole s’efface au bénéfice d’une image trompeuse et figée et qui, grâce à la puissance de diffusion de nos réseaux sociaux, se donne en pâture à la terre tout entière.

    « Le monde n’appartient plus à ceux qui se lèvent tôt » mais à ceux qui les premiers postent sur la toile leur autoportrait seul ou accompagné de leurs proches, ceux, qui, béats et souriants, se pâment de bonheur dans des lieux de vacances aussi paradisiaques les uns que les autres avec des conjoints aussi beaux que Marlon Brando dans sa jeunesse, aussi intelligents qu’Einstein, aussi riches que Crésus et des enfants heureux et surdoués aux jolies boucles blondes. Des images d’Epinal, en somme, qui ne disent rien de la réalité du quotidien mais qui tendent à masquer la vacuité d’une existence vouée au paraître et à l’approbation de la foule.

    La Covid n’a malheureusement pas changé grand-chose à cette tendance nombriliste. Au contraire ! Confinés chez eux, les poseuses s’en sont même donné à cœur joie pour montrer à qui mieux mieux qu’elles étaient des femmes parfaites, des mères irréprochables qui faisaient travailler si efficacement leurs bambins, des épouses extraordinaires cuisinant à merveille, des femmes fatales au QI aussi haut que le Mont Everest. Ainsi, tous les jours, la toile recueillait son lot de clichés brillants aux couleurs criardes, montrant des gens heureux et abrutis de superficialité, imbus de leur petite personne, pétris de bêtise crasse et d’égoïsme. Non la COVID n’aura malheureusement pas eu raison de leur folie ! Dommage ! Faut-il une autre pandémie pour ramener ces obsédés de l’image à la raison ? Espérons que non !


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    Il n'était pas loin de 19H30 lorsque j'ai foulé les allées ombragées du parc de l'Orangerie. Les arbres si beaux en cette saison paraissaient trempés de lumière, de cette lumière cuivrée qui vient avec le soir. Lumière tamisée, tamponnée d'ombre par endroits et du vol nu d'oiseaux solitaires.

     

    Vers le soir

     

     


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    Ce matin-là, je m'étais levée avec une certaine appréhension mais tout de même de bonne humeur, d'autant plus que le soleil brillait de tous ses feux, décalqué sur un ciel aussi bleu que la Méditerranée. De quoi rendre guilleret plus d'un !

    Je m'étais vite préparée en vue de mon rendez-vous annuel chez le cardiologue : le sympathique Docteur Radkin. Il y a trois mois- covid-19 oblige- j'avais bénéficié d'une visio-consultation avec lui et il m'avait promis que, lorsque je lui rendrais visite pour une consultation de visu, il me ferait monter sur la balance pour avoir le plaisir de me peser. Cette éventualité m'avait très moyennement charmée surtout qu'avec le confinement, j'avais encore pris quelques kilos supplémentaires qui conféraient à ma silhouette un aspect encore plus rebondi qu'à l'accoutumée, et me faisait désormais ressembler à la surface d'une montgolfière gonflée par le vent ou bien à celle d'une gracieuse baleine boursouflée.

    Cependant, le jour J tant attendu arriva : celui de ma consultation en présentiel que j'avais déjà repoussée à deux reprises. Ma phobie de la balance atteignant des sommets, je n'avais pas eu le courage de l'affronter plus tôt. Néanmoins, le deuxième jeudi du mois de juillet, je m'armai de courage et montai prestement les escaliers qui me menaient à l'auguste cabinet du médecin. Dans la salle d'attente, j'attendis près d'une heure trente, heureusement sans compagnon d'infortune (j'étais toute seule) que le bienveillant Docteur Ratkine vienne me délivrer de mon ennui. C'est son assistante qui me tira de ma torpeur par la réclamation de mes auto-mesures tensionnelles que j'avais effectuées quelques jours auparavant. Je lui tendis une feuille chiffonnée qui disait l'état de désolation dans lequel mon cœur (au sens propre et figuré) se trouvait. Elle la prit et opina avec un sourire gêné, consciente des lourdes implications de ces résultats griffonnés à la va-vite. Linda me fit alors allonger sur la table d'examen ou plutôt de torture, m'ornant d'électrodes colorés qui me faisaient bien davantage ressembler au héros du film « Orange mécanique » qu'à un être humain digne de ce nom. Peut-être d'ailleurs, comme le héros de Kafka, commençai-je à me métamorphoser en vulgaire cloporte. Après tout, je n'étais plus à cela près. Ce n'était que le début de mon aventure, mais je ne le savais pas encore. La naïveté et l'ingénuité ont ceci de magique qu'elles rendent aveugles à la bien-pensance moralisatrice et à la méchanceté. Et c'était mieux ainsi, surtout pour mon pauvre petit cœur, cause principale de ma visite en ce haut lieu.

    Enfin, le Docteur Ratkin vint me dire bonjour, jovial et paternaliste comme toujours et me toisant du regard sur son siège surélevé tandis que, pour ma part, je n'en menais pas large, allongée que j'étais dans une position fort inconfortable et très légèrement vêtue. J'essayais de compter les fissures du plafond comme on compte les moutons dans un pré mais cet exercice ne réussit que très peu de temps à m'absorber dans mes pensées. La vérité, c'est que mon cœur commençait de battre la chamade et que mon hypertension battait des records de hauteur. Bon, du calme ! Après tout, même dans cette position délicate, il fallait que je garde la tête froide et que je sois souriante par-dessus le marché, tout comme semblait l'être mon cardiologue préféré derrière son masque. Observant mes chairs flasques qui entouraient mon squelette bien enrobé, il prit d'ailleurs un air presque admiratif, le même air qu'on arbore lorsqu'on contemple du bétail de qualité et qu'on se dit que de cette bête, on pourrait en tirer de beaux morceaux de viande. Dans mon cas, ce serait plutôt de la viande avariée, si on suivait la ligne arquée des sourcils de mon médecin qui semblait en dire long sur son étonnement, voire sa stupéfaction de devoir contempler tant de chair frelatée étalée au grand jour. Et n'y tenant plus devant ce spectacle qui semblait le dégoûter, il me demanda à la cantonade si l'opération de chirurgie bariatrique ne me tentait pas. Sonnée par ses propos mais néanmoins encore consciente, je me permis de protester. J'avoue que l'idée qu'on me coupe la moitié de mon estomac, voire davantage ne m'enchante guère mais lui, semblait très à l'aise avec cette idée. Évidemment, ce n'est pas son estomac qu'on mutilait. Vu son extrême minceur, le sien d'estomac devait faire la taille d'un moineau, voire d'une fourmi et le mien, en comparaison ressemblait à un éléphant.

    Alors, pour contester cette funeste proposition, je me permis de mettre en doute l'innocuité de cette intervention bariatrique. Mais lui ne semblait rien entendre. Déjà, il m'imaginait cinquante kilos en moins, folâtrant dans les airs, gracieuse libellule libérée de la matière. Mais moi, j'avais une autre vision des choses beaucoup plus terre à terre, beaucoup plus prosaïque. Je voulais continuer à manger ce que mon insigne estomac me réclamait. Je voulais encore faire bombance et festoyer et ripailler. Et le regard bleu espiègle du médecin se transforma très vite en regard d'acier qui perça mon cœur comme une épée. Visiblement, nous n'étions pas du même avis.

    Puis, l''air préoccupé et agacé, le brave Docteur Radkin qui faisait peine à voir tant il semblait au bout du rouleau à force d'indignation, m'enjoignit de monter sur la balance. Je refusai net. Il eut un haut-le-cœur et, la mine courroucée, me dit violemment que, dans ces circonstances, comme je semblais ne plus avoir confiance en ses services et sa toute puissance bienfaitrice, il valait mieux que je consulte un autre cardiologue que lui. Son air jovial du début avait laissé place à une mine austère où se lisaient tour à tour la colère et la stupéfaction, servies par un rictus d'effroi. On était bien loin de la cordialité des premiers instants. Et je pris presque peur, lorsqu'il me rappela que c'était de son devoir de m'informer des risques inhérents à mon obésité et que l'opération de chirurgie bariatrique me permettrait de gagner quinze ans d'existence.

     

    Qu'est ce qu'il en savait cet apprenti sorcier de mon existence à venir et de ce qui me restait à vivre ? Car dans le présent, l'envie de vivre justement m'avait presque quittée, effrayée que j'étais par mon propre corps, par mes excroissances de chair flasque qui avaient effaré Monsieur, l'avait mis dans un état de panique inouïe et, pour ma part, m'avaient plongée dans un état de dépression profonde qu'il fallait maintenant devoir combattre, tellement mon narcissisme en avait pris un coup.

     

     Alors que le Docteur Radkin clôturait la séance d'un ton sec avec des salutations minimalistes, pressé qu'il était de prendre la patiente suivante, toute mince et pimpante, il n'eût pas l'air de remarquer mon état de détresse avancée. Linda, l'assistante, me fit régler la consultation qui décidément, m'était restée sur l'estomac (c'est le cas de le dire !). Prise de pitié, elle esquissa un au revoir espiègle en y mettant le plus de conviction possible. Mais je ne parvins pas à lui rendre son sourire. Le mal était fait. J'étais rentrée triomphante au cabinet médical et je ressortais, les épaules voûtées, le regard fuyant de honte, annihilée et désormais inhibée pour le restant de mes jours.

     

    Lorsqu'enfin, je fus dehors, j'eus la pénible impression que des milliers de paires d'yeux scrutaient mes chairs flasques et mon corps qui semblait de trop. Même les oiseaux semblaient me le reprocher, même les abeilles qui tournoyaient autour de moi, esquissaient une farandole autour de leur proie. En sueur, sous la chaleur caniculaire, j'avançai à petits pas, n'étant pas sûre de pouvoir rentrer chez moi…quand soudain, la sonnerie du réveil vrilla. Heureusement, ce n'était qu'un mauvais rêve. Un cauchemar dont j'émergeai péniblement. Mais comment avais-je bien pu rêver une telle chose, qu'un médecin puisse me parler de la sorte, dénier mon statut d'être humain et de femme aux formes généreuses ? Cela n'existait que dans les fables les plus tristes, dans les contes les plus cruels, dans les pires tragédies, n'est-ce pas ?

     

     

     

     

    Ma visite chez le Docteur Radkin


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